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Nara – Trois trésors du bouddhisme japonais (Musée Guimet)

Du 23 janvier au 18 mars 2019, le Musée national des arts asiatiques – Guimet expose dans la rotonde de sa bibliothèque trois statues bouddhiques exceptionnellement prêtées par l’un des grands temples de Nara, le Kôfukuji. « Nara – Trois trésors du bouddhisme japonais » nous permet ainsi d’approcher des œuvres qui n’étaient jamais sorties du Japon jusqu’à présent, et étaient par ailleurs difficilement observables d’aussi près dans leur pays d’origine. Elle clôt également la saison « Japonismes 2018 », ce vaste programme culturel qui célébrait les 160 ans des relations diplomatiques entre la France et le Japon entre juillet 2018 et février 2019.

Trois trésors du bouddhisme japonais

Le Kôfukuji, histoire d’un temple, récit d’une famille

Le Kôfukuji 興福寺 signifie littéralement « le temple qui fait fleurir le bonheur ». Il fut édifié pour rendre hommage à un homme, Nakatomi no Kamatari 中臣鎌足 (614-669), appui solide du pouvoir impérial au début de l’époque de Nara (Nara jidai 奈良時代, 645-794). A sa mort, l’empereur Tenji 天智天皇 lui confère divers titres et un nom de famille, celui de Fujiwara 藤原氏. En 710, la décision est prise d’établir la capitale impériale à Nara 奈良 : c’est le coup d’envoi pour construire ou transférer d’importants temples bouddhiques sur ce site. Fujiwara no Fuhito 藤原不比等 (659-720), fils de Nakatomi, décide alors de rapatrier le temple de famille à Nara la même année. Bien lui en prit. Le temple qui prend à cette époque le nom de Kôfukuji devient rapidement l’un des « sept grands temples de la capitale du Sud » (Nanto shichidaiji 南都七大寺) et le siège d’une secte bouddhiste majeure, le courant Hossô 法相宗.

L’ascension du temple est fulgurante, à l’image du destin de la famille Fujiwara. Cette dernière s’empare du pouvoir au détriment des autres clans dès l’époque suivante, celle de Heian (Heian jidai 平安時代, 794-1185), et son apogée coïncide avec la vie d’un homme, Fujiwara no Michinaga 藤原道長 (966-1028) qui règne en maître absolu à la cour impériale. Entretemps, une vaste communauté monastique s’enracine au Kôfukuji, et des moines soldats font régner l’ordre, si ce n’est la terreur, vis-à-vis des temples voisins. Cependant, le Kôfukuji connaît également des vicissitudes dues à des incendies, et en 1180, victime collatérale des affrontements entre les deux grands clans de guerriers qui s’affrontent pour s’emparer du pouvoir, les Taira 平氏 et les Minamoto 源氏, il est gravement endommagé par les hommes du seigneur Taira no Shigehira 平重衡 (1157-1185). Cependant, dès l’année suivante, d’importants travaux sont entrepris et c’est un nouvel âge d’or qui s’ouvre pour le temple au XIIIe siècle. C’est également à cette époque que l’école de sculpture Kei 慶派 investit les grands temples de Nara et de Kyôto et les peuple de sculptures bouddhiques au réalisme inquiétant.

Aux époques suivantes, le Kôfukuji va petit à petit décliner et il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que s’opère un renouveau. Aujourd’hui, pour les hordes de touristes qui parcourent inlassablement Nara, il demeure l’un des temples incontournables à visiter, inscrit depuis 1998 au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Outre ses deux pagodes et ses étonnants bâtiments circulaires, son musée des trésors nationaux (kokuhôkan 国宝館) abrite l’une des statuaires les plus exceptionnelles du Japon.

Trois divinités populaires

Parmi les très nombreuses œuvres qu’abritent le temple et ses dépendances, le Kôfukuji a choisi de prêter trois statues représentant des divinités particulièrement appréciées au Japon : deux divinités protectrices, les rois gardiens et, équilibrant l’ensemble, le bodhisattva Jizô qui, placé au centre, apparaît comme protégé par les deux gardiens. Ces statues sont d’une grande valeur et relèvent de deux catégories, celle des « biens culturels importants » (jûyô bunkazai 重要文化財, abrégé plus simplement en jûbun 重文) et celle des « trésors nationaux » (kokuhô 国宝). Quésaco ? Au Japon, il existe un système de classement établi par des commissions d’experts qui distingue, parmi l’ensemble des œuvres conservées dans les musées, les temples et les collections particulières, un groupe restreint d’objets prestigieux. Les plus remarquables sont classés dans la fameuse catégorie des trésors nationaux tandis que celle des biens culturels importants renferment les pièces qui viennent juste après.

Les deux rois gardiens

Les rois gardiens portent différents noms en japonais (niô 仁王 ou encore kongô rikishi 金剛力士), et leur fonction essentielle est de contrer les influences néfastes. Placés au sein d’une porte, ils protègent l’entrée principale d’un temple ou, disposés dans une salle, ils sont postés comme protecteurs de divinités majeures du bouddhisme. Si leur figure est ancienne, ayant transité entre l’Inde et la Chine sous le nom sanskrit de vajrapâni, c’est à la fin du VIIe siècle qu’ils apparaissent au Japon. Le Hôryûji 法隆寺 et le Tôdaji 東大寺, des temples importants de Nara, en abritent des modèles impressionnants.

Les deux rois gardiens présentés ici datent du XIIIe siècle et sont classés trésors nationaux. D’une hauteur de 154 centimètres, sculptés dans du bois de cyprès japonais (hinoki 桧), ils seraient l’œuvre du sculpteur Jôkei 定慶, un disciple de Kôkei 康慶, le fondateur de l’école Kei précédemment citée. Leur iconographie est classique. Les pieds solidement campés sur un rocher, les jambes bien écartées, ils sont vêtus d’une sorte de pagne, le reste du corps étant dénudé et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils font tout pour susciter la peur chez leurs ennemis ! Le premier se tient la bouche ouverte et est dénommé Agyô 阿形, comme le phonème sanskrit A. Il symbolise la puissance exprimée.

Le deuxième a la bouche fermée et s’appelle Ungyô 吽形, comme le phonème UN. Il exprime la puissance contenue.

Ce qui frappe dans ces modèles, c’est le dynamisme qui s’en dégage et qui témoigne d’une excellente connaissance de l’anatomie du corps humain et de sa musculature. Un buste légèrement incliné, des épaules rejetées en arrière, un avant-bras tendu au point de faire saillir les veines, les trapèzes et les deltoïdes contractés dans le dos, un torse musculeux, les sourcils froncés, des yeux exorbités, un bras levé prêt à fondre sur l’ennemi, tout est l’expression d’un puissant réalisme. Les bras se contorsionnent dans tous les sens et semblent tenir des vajra, ces foudres diamants que l’on trouve dans l’hindouisme et le bouddhisme ésotérique et qui détruisent l’ignorance.

Ce réalisme n’a pu être rendu que par la maîtrise d’une technique, celle dite des pièces de bois assemblées (yosegizukuri 寄木造) inventée par le sculpteur Jôchô 定朝 au XIe siècle. La sculpture est créée à partir de plusieurs pièces de bois qui ont été débitées et sculptées séparément, avant d’être assemblées. Ainsi, la torsion des bustes observée sur les deux rois gardiens a été rendue possible grâce à cette technique. Par ailleurs, la généralisation de l’emploi de l’incrustation de cristal de roche (gyokugan 玉眼) en remplacement des pupilles peintes accentue encore le réalisme effrayant des statues. Ces sculptures au regard intense semblent vivantes, prêtes à se mouvoir pour bondir sur leur ennemi.

Le bodhisattva Jizô

La troisième sculpture représente une divinité bien connue des Japonais, le bodhisattva Jizô (Jizô bosatsu 地蔵菩薩), également identifié sous le nom de Kshitigarbha en sanskrit. Dans le bouddhisme, le bodhisattva est une divinité altruiste qui accepte de reculer indéfiniment le moment où elle parviendra à la délivrance, qui lui permettrait pourtant d’accéder au statut de Bouddha, « l’Être éveillé ». Par ce geste, elle montre qu’elle préfère s’assurer avant tout du salut de tous les êtres vivants. Jizô est plus particulièrement la divinité du voyage au sens propre comme au sens figuré. C’est lui que l’on rencontre au carrefour des routes, protecteur des voyageurs, mais il est également celui des morts, notamment des enfants morts qu’il accompagne dans le voyage vers l’au-delà.

Haute de 140 centimètres, la sculpture présente dans la rotonde date du IXe siècle et est classée comme bien culturel important. Là aussi, il s’agit d’une représentation traditionnelle de Jizô. Le crâne rasé, vêtu d’une robe monastique, les lobes des oreilles démesurément allongés, il se tient debout sur un trône en forme de lotus. Derrière lui, un lotus épanoui s’achève en une auréole autour de laquelle s’organisent vingt-six rayons qui ceignent sa tête. Ses mains forment une mudrâ, un ensemble de gestes symboliques et codifiés.

La statue est plus ancienne que les rois gardiens et sa conception est fort différente : la technique des pièces de bois assemblées étant inconnue au IXe siècle, c’est celle de la taille d’une pièce de bois (ichibokuzukuri 一木造) qui est utilisée. La tête et le corps de la divinité, ainsi que le socle, sont sculptés dans un même morceau de bois tandis que les bras et les mains sont faits de pièces rapportées. Par ailleurs, une cavité (uchiguri 内刳) est ménagée dans le dos de la divinité pour alléger le poids et permettre au bois de jouer. Elle peut abriter des objets sacrés. Ici, nul mouvement mais une impression de sérénité et de calme se dégage de l’ensemble.

Vous l’aurez compris, ce prêt est exceptionnel à plus d’un titre. J’avais déjà eu l’occasion et le plaisir de voir les deux rois gardiens au musée des trésors nationaux du Kôfukuji, à Nara, mais ici, j’ai pu les admirer de très près. Et dans un écrin qui se prête idéalement à ce type de contemplation. Un conseil : si vous souhaitez les voir, faites vite. Vous n’aurez que deux mois pour vous en approcher !

J’adresse mes remerciements au musée Guimet, et plus particulièrement à Nicolas Alpach, chargé de communication numérique, et à Michel Maucuer, conservateur en charge des collections japonaises, pour leur soirée de présentation de ces statues.

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