La Galerie des Trésors du Hôryûji (Tokyo)
Chaque jour, le musée national de Tokyo est pris d’assaut par des foules de touristes japonais et étrangers venus découvrir ses trésors. Pourtant, dans ce vaste espace culturel, il existe un lieu à l’écart du monde qui mériterait le détour : la Galerie des trésors du Hôryûji. Allons-y faire un tour.
Le musée national de Tokyo
« Le plus vieux musée du Japon »
Pour tout amateur d’art japonais qui se respecte, le musée national de Tokyo (Tôkyô kokuritsu hakubutsukan 東京国立博物館) est une visite incontournable. Inauguré en 1872, il est situé dans le parc de Ueno, au nord de Tokyo. Celui que les guides touristiques présentent comme « le plus vieux musée du Japon » abrite dans ses réserves quelques 120 000 œuvres couvrant toute l’histoire japonaise (dont 89 trésors nationaux et 644 biens culturels importants). Mais ces œuvres ne sont visibles que par rotation saisonnière. Et chaque rotation présente environ 3 000 objets exposés pour la plupart dans le bâtiment principal, le Honkan 本館.
La galerie chronologique de l’art japonais (Nihon bijutsu no nagare「日本美術の流れ」) occupe les dix salles du premier étage du Honkan : la préhistoire, l’émergence du bouddhisme, la peinture à l’encre monochrome, la cérémonie du thé, le théâtre japonais, l’art de l’estampe, etc.
Le rez-de-chaussée se présente également comme une enfilade de larges salles spécialisées sur des domaines précis de l’art japonais : le travail du laque, la sculpture bouddhique, les sabres, etc.
Bref, de quoi en avoir plein les mirettes durant une belle matinée.
Un musée… ou plusieurs musées ?
Comme le montre le plan ci-dessus, le Honkan ne couvre qu’une partie de l’immense espace occupé par le musée national de Tokyo. Outre les jardins, pavillons de thé et bâtiments administratifs, il est possible de s’attarder dans le Heiseikan 平成館. Ce dernier abrite une époustouflante galerie de la préhistoire japonaise et sert également pour certaines grandes expositions temporaires. De l’autre côté du Honkan, le Tôyôkan 東洋館 est centré sur les grandes civilisations asiatiques. Enfin, situé beaucoup plus à l’écart, se trouve la Galerie des trésors du Hôryûji (Hôryûji hômotsukan 法隆寺宝物館).
La Galerie des trésors du Hôryûji
Un peu d’histoire
Le Hôryûji ? Ce nom vous parle ? Bingo ! Il s’agit bien de ce temple situé à Ikaruga 斑鳩町, en banlieue de Nara 奈良市 et accessoirement, l’un de mes endroits préférés au Japon. Inscrit depuis 1993 au patrimoine mondial de l’Humanité, il fait partie des sept grands temples de Nara (Nanto shichidaiji 南都七大寺), tout comme le Kôfukuji.
Il aurait été édifié au début du VIIe siècle, à l’époque d’Asuka (Asuka jidai 飛鳥時代) sur demande du prince Shôtoku Taishi 聖徳太子 (574-622). Ce dernier est un personnage emblématique de l’histoire du Japon qui renforça le pouvoir impérial et noua d’étroites relations avec la Chine. Il fut par ailleurs un fervent bouddhiste et s’attacha à enraciner cette religion sur le sol japonais. Le Hôryûji fut détruit par un incendie vers 670, mais il fut reconstruit et agrandi très rapidement.
Ce vaste complexe bouddhique abrite aujourd’hui un ensemble architectural unique, dont certains édifices en bois datent du VIIe siècle, et un musée abritant des sculptures d’une rare finesse.
Le don de 1878
Mais revenons à l’époque contemporaine. En 1878, le temple fait don de 300 objets à l’empereur, dont certains en relation avec Shôtoku Taishi. Ce don est désigné par une de ces expressions dont les Japonais ont le secret : Hôryûji kennô hômotsu 法隆寺献納宝物 (littéralement « le trésor en don du Hôryûji »). La plupart sont d’une grande valeur historique et artistique : 239 sont des biens culturels importants, et 14, des trésors nationaux.
Ce n’est qu’à partir de 1964 que ces objets sont exposés à la vue de tous, mais du fait de leur fragilité, ils ne sont visibles qu’un jour par semaine. Il fut donc décidé d’ériger un bâtiment conçu spécialement pour les héberger en toute sécurité. En juillet 1999 est donc inauguré le magnifique bâtiment lumineux de l’architecte japonais Yoshio TANIGUCHI 谷口吉生 (né en 1937). Un bâtiment dont il faut connaître l’existence pour le localiser dans ce vaste endroit, caché derrière un écrin de verdure.
Une collection exceptionnelle
Le bâtiment, construit sur un système de boîtes imbriquées les unes dans les autres, est de petite taille en comparaison des autres mastodontes. Il s’étend sur deux niveaux et six salles thématiques le composent :
- Salle 1 – Bannière dédiée au rite religieux dit Abhisheka (kanjôban 灌頂幡)
- Salle 2 – Autour de la statuaire bouddhique
- Salle 3 – Masques de gigaku (gigakumen 伎楽面)
- Salle 4 – Objets en bois et en laque
- Salle 5 – Objets en métal
- Salle 6 – Peintures, calligraphie et textiles.
La sculpture bouddhique
S’il ne vous faut visiter qu’une seule salle, c’est bien la salle n°2 ! Plongées dans une pénombre mystérieuse mais savamment éclairées par tout un jeu de lumière, une quarantaine de sculptures hautes comme trois pommes vous contemplent depuis le VIIe siècle, période à laquelle elles ont été créées. Toutes sont considérées comme des biens culturels importants. Et cela se comprend aisément quand on les regarde avec attention : finesse des traits, préciosité des détails, expressions impassibles. Chacune d’elles mériterait une pause de plusieurs minutes tant elles sont magnifiques.
Ces sculptures en bronze, hautes entre 30 et 40 centimètres, représentent généralement un bouddha (nyorai 如来) ou le bodhisattva Kannon (Kannon bosatsu 観音菩薩). Certains se tiennent debout et réalisent des mudrâs avec leurs mains (insô 印相), tandis que d’autres sont assis en posture dite du « penseur » : une jambe pendante sur le genou de laquelle repose la cheville de l’autre jambe.
Le bouddha de droite est assis et fait la double mûdra de l’absence de crainte (main droite) et de la compassion (main gauche). Cette statue aurait été réalisée par le maître d’origine coréenne ou chinoise, Kuratsukuri no Tori 鞍作止利 (VIIe siècle). Ou tout au moins son atelier. A cette époque, seuls les artisans du continent maîtrisent les techniques de la fonte et les règles de l’iconographie bouddhique. Venus en masse dans l’archipel japonais, ils réalisent les statues dont ils reçoivent commande auprès des nobles de cour. Tori est le plus célèbre d’entre eux, et son chef d’œuvre est visible dans le pavillon central du Hôryûji : la triade de Shaka (Shaka sanzon 釈迦三尊), datée de 623.
Son style est influencé par la statuaire monumentale chinoise, telle qu’elle est visible dans les grottes de Longmen (province de Henan) et de Yungang (province de Shanxi). Il se caractérise par un goût prononcé pour la symétrie et la frontalité. La manière dont s’étale la robe du boudha est caractéristique par les plis en forme dite en « trou de serrure ».
Autre ensemble qui mérite de s’y attarder, celui représentant la reine Mâyâ (Maya bujin 摩耶夫人), accompagnée de trois dames de compagnie.
Mâyâ est la mère du Bouddha historique, Siddhartha Gautama, dit Shakyamuni (Shaka 釈迦 en japonais). Ce dernier aurait vécu en Inde au VIe siècle avant notre ère. Elle l’aurait conçu en rêve et elle est ici représentée à Lumbini au moment de la naissance de son fils, debout, sa main droite accrochée à un arbre. Siddharta sortira du flanc de sa mère, le matin du 8 avril selon la tradition bouddhique.
Cette salle contient également des mandorles et des auréoles (kôhai 光背) qui datent de la même époque (VIIe siècle). Il n’a pas été possible de les rattacher à leur statue d’origine. Ce qui permet de mieux les admirer et de voir la précision et la minutie avec lesquelles les artisans les ont conçues, telle celle de droite ornée de divinités célestes qui accompagnaient le bouddha central.
Des objets rituels en métal
La salle n° 5 contient essentiellement des objets en métal qui sont utilisés dans les rituels bouddhiques.
Commençons par les vases. A gauche, cette aiguière kundika (jôhei 浄瓶 ou suibyô 水瓶), peut-être d’origine chinoise, date du VIIe-VIIIe siècle. En bronze, elle sert aux ablutions rituelles.
Celle de droite, trésor national, est légèrement plus ancienne, et se compose d’argent, de bronze et d’or. Ornée de motifs persan et chinois, elle vaut pour sa forme étonnante, notamment son bec en forme de tête de dragon. Naseaux, crocs, oreilles sont délicatement représentés. Et un œil de verre qui semble guetter chacun de nos gestes…
Autre objet rituel, le bâton de marche des moines pèlerins (shakujô 錫杖). Le bruit que produisent ses six anneaux de métal permet d’annoncer l’arrivée du moine, voire d’éloigner de lui des menaces extérieures. Mais il est également utilisé en accompagnement, lors de la psalmodie de chants sacrés bouddhiques. Celui du musée date du XIIIe siècle.
Les vajra ou « foudres diamants » sont également présents dans la collection. Objets sacrés du bouddhisme ésotérique, ils sont censés détruire l’ignorance dans les rites. Ils sont d’ailleurs souvent dans les mains de divinités protectrices afin d’éloigner les esprits malfaisants.
Le double vajra à trois branches (sankosho 三鈷杵) date du XIIe siècle. Celui à cinq branches est terminé par une clochette rituelle (gokorei 五鈷鈴) et date du XIVe-XVe siècle.
La collection renferme également des miroirs (kagami 鏡). Celui de gauche est chinois et date du VIIIe siècle. L’envers représente un dragon dans un motif stylisé de fleur à huit pétales.
Celui de droite est beaucoup plus récent (1758) et semble japonais. Cependant, il est d’inspiration chinoise : il est en effet orné d’un motif taoïste traditionnel représentant le mont Penglai (ou Hôrai 蓬莱 en japonais), lieu où séjournent les huit immortels de Liu An. On y retrouve ainsi des motifs incarnant la longévité : pin & bambous, grues & tortue.
Dernière curiosité : deux sceaux en bronze datant du VIIe et du IX-Xe siècle. Les sceaux commencent à être utilisés au Japon avec l’application du système des codes (ritsuryô seido 律令制度) en 701. Inspiré par la Chine, ce système permet d’établir (théoriquement) un Etat centralisé, s’appuyant sur une bureaucratie solide. L’utilisation du sceau en est l’une des manifestations concrètes. Aujourd’hui encore, les Japonais signent les documents administratifs avec leur propre sceau !
Une bulle d’évasion et de calme au cœur de Tokyo
Si vous souhaitez aller plus loin, je vous conseille la lecture d’un article écrit par Hiroko T. McDermott, chercheur spécialisé en histoire de l’art à l’ère Meiji. L’article, disponible en téléchargement (au moins jusqu’à la fin du confinement), revient sur la donation faite en 1878. Intitulé « The Hôryûji Treasures and Early Meiji Cultural Policy », il a été publié dans le volume 61 (numéro 3 – automne 2006) de la revue de japonologie de l’université Sophia de Tokyo, Monumenta Nipponica.
De son côté, le site e-Museum répertorie les trésors nationaux et les biens culturels importants qui sont dans les musées nationaux du Japon. Ceux du Hôryûji sont visibles à cette adresse.
J’espère que cet article vous aura donné envie de découvrir ce petit musée. A mes yeux, il représente un havre de paix et de sérénité dans Tokyo. Et une introduction toute en douceur à la sculpture bouddhique.