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Tokyo Storefronts (Mateusz Urbanowicz)

Je suis de retour du Japon avec quelques emplettes intéressantes. Et parmi celles-ci, un ouvrage quelque peu ovniesque, Tokyo Storefronts, d’un illustrateur d’origine polonaise, Mateusz Urbanowicz. Ce dessinateur, je ne le connaissais pas, mais je constatais régulièrement que mon fil Twitter mettait en exergue son travail. Et par chance, son livre paraissait au moment où j’étais au Japon. Depuis, il a déjà connu une réédition, victime de son succès rencontré dans les librairies japonaises.

Sur l’auteur

Mateusz Urbanowicz est né en 1986, dans la Silésie polonaise, où il obtient une bourse pour aller étudier au Japon. De fil en anguille, il finit par s’y installer et participe aux décors de plusieurs grosses productions de la japanimation. Parmi ses contributions les plus notables, citons Hana et Alice mènent l’enquête (« Hana to Alisu satsujin jiken » 『花とアリス殺人事件』), film de Shunji IWAI 岩井俊二 sorti en France le 11 mai 2016, et surtout Your name (« Kimi no na wa » 『君の名は。』) film à succès de Makoto SHINKAI 新海誠 sorti en France le 28 décembre 2016.

Depuis 2017, il travaille en freelance sur plusieurs projets, notamment des court-métrages, des illustrations pour des couvertures de magazines et de livres, mais ce qui avait retenu l’attention depuis quelques mois, c’était la sortie imminente d’un ouvrage entier d’illustrations dédiées à Tokyo.

Il vit par ailleurs à Enoshima 江の島, une île située près de Kamakura.

Et le livre dans tout cela ?

Paru le 25 avril 2018 au Japon, Tokyo Storefronts 『東京店構え』 (Tôkyôten kamae) est un ouvrage bilingue anglais-japonais. Il peut se traduire en français par « Les Devantures de Tokyo », et c’est en effet l’unique thème de ce livre de 160 pages. Mais évidemment pas n’importe quelles devantures !

Pour celles et ceux qui n’auraient pas l’habitude de crapahuter à Tokyo, il faut savoir que cette dernière peut offrir mille et un visages quand vous prenez la peine d’explorer la ville. Car le carrefour de Shibuya, les tours de Shinjuku ou les grands magasins d’Ikebukuro ne représentent qu’une infime facette de cette métropole que je qualifierai volontiers d’agglomérations de « villages », aux personnalités bien marquées, et à la ligne de front horizontale. Dès que vos pas quittent les grandes artères, ces fameuses tôri 通り qui sont bien les seules à porter un nom, vous pénétrez immédiatement dans un autre monde : absence de trottoirs physiques, uniquement délimités par un marquage blanc, circulation incessante de bicyclettes, chats se prélassant devant de petites maisons. Et parfois, au détour d’une rue ou d’une artère, vous tombez nez à nez sur une de ces boutiques intemporelles, qui semble mariner dans son jus depuis des décennies.

Structure du livre

L’ouvrage se divise en six chapitres, les cinq premiers regroupant cinquante boutiques par zones géographiques :

  1. La zone Sendagi – Jinbochô (千駄木・神保町エリア)
  2. La zone Akihabara – Nihonbashi (秋葉原・日本橋エリア)
  3. La zone Asakusa – Kita-senju (浅草・北千住エリア)
  4. La zone Akabane – Shinagawa (赤羽・品川エリア)
  5. La zone qui suit la ligne de train Chûô (中央線沿線エリア).

Le sixième chapitre est à part car consacré à son atelier et à ses conditions matérielles de travail.

Et ces devantures ?

Les devantures sont présentées les unes après les autres. Il ne s’agit donc pas d’un roman ni même d’un essai, et il est possible d’ouvrir le livre à n’importe quelle page pour se laisser happer par l’une de ces façades. Généralement deux pages lui sont dédiées : l’une offrant une vue générale du bâtiment, souvent haut et étroit comme une nagaya 長屋, l’autre détaillant des éléments intéressants. Ci-dessous, vous trouverez un café du quartier d’Ebisu appelé TENEMENT. La page de gauche s’attarde sur plusieurs détails caractéristiques de cette façade datant probablement des années 1920 : le toit recouvert de tuiles vernissées, le sudare 簾, les portes coulissantes. Chaque double page est accompagnée de renseignements sur l’année de construction, l’adresse du bâtiment, son utilisation actuelle. Et il apparaît que certaines devantures sont probablement des survivantes des deux grandes catastrophes qui ont touché Tokyo au XXe siècle, le tremblement de terre de 1923 et les bombardements américains de mars 1945. Ce qui est triste, c’est de voir que certaines ont déjà disparu entre le premier crayonné et la parution du livre, ce qui fait dire à l’auteur qu’il souhaite que son ouvrage participe à la protection de ces bâtiments qui font partie intégrante de l’histoire architecturale de la ville. Autant dire que ce n’est pas gagné vu la politique immobilière de Tokyo en la matière et l’arrivée imminente des Jeux Olympiques, en 2020.

Ten.yasu, vendeur de tsukudani

Le degré de précision de Mateusz Urbanowicz rappelle ce côté maniaque, quasi obsessionnel de certains Japonais qui, à partir d’un loisir devenu une passion, tissent tout autour un monde captivant, empli de détails rendant ce monde plus vrai que nature. Son style me fait par ailleurs penser au travail du Français Florent Chavouet (Tokyo Sanpo, Manabé Shima, Petites Coupures à Shioguni). Et le dernier chapitre consacré à son atelier permet de comprendre dans quelles conditions il travaille. Des premières esquisses crayonnées à partir de photographies, en passant par l’encrage puis la mise en couleurs, tout en ayant une vue sur un jardin bien vert.

Espace de travail de Mateusz Urbanowicz

Bref, j’espère que ce rapide compte rendu vous donnera envie d’acquérir son ouvrage !

En bonus, voici des making-of réalisés sur certaines devantures, d’une durée de quelques minutes, et qui permettent d’apprécier son fabuleux coup de patte :

Pour aller plus loin

Les illustrations reproduites dans cet article l’ont été avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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