Daimyo – Seigneurs de la guerre au Japon (Musée Guimet et Palais de Tokyo)
Jusqu’au 13 mai prochain, une exposition consacrée aux grands seigneurs du Japon féodal, les daimyô, se tient à Paris. « Daimyo – Seigneurs de la guerre au Japon » est un évènement sous forme de partenariat entre le Musée national des arts asiatiques – Guimet et le Palais de Tokyo.
Une exposition en itinérance
Le commissariat de l’exposition est assuré par trois personnalités : un commissaire invité, Jean-Christophe Charbonnier, galeriste spécialisé sur les armures japonaises, Sophie Makariou, conservateur du patrimoine et présidente du musée Guimet, Michel Maucuer, conservateur du patrimoine au musée Guimet et spécialiste de l’art japonais.
Le prix du billet est de 11,50 euros plein tarif, billet qui donne accès à l’ensemble des expositions ainsi qu’aux collections permanentes du musée Guimet. Avec deux extras : le jour de son achat, il offre la possibilité de visiter l’ensemble des expositions du Palais de Tokyo. Par ailleurs, il permet une seconde visite de Guimet si cette dernière se fait dans les 14 jours suivant l’achat du billet.
L’exposition se déroule en trois temps, que je vous conseille de respecter. La première partie se déroule à l’hôtel d’Heidelbach, l’annexe du musée, à 150 mètres. La deuxième partie se situe dans la rotonde du musée, au quatrième étage, tandis que la troisième partie s’achève sur un clin d’œil au Palais de Tokyo, 200 mètres plus loin.
Des objets de grande qualité
L’exposition occupe peu de place et pourrait se visiter rapidement. Mais elle est extrêmement dense : elle réunit pas moins de trente-trois armures, auxquelles il faut ajouter de nombreux objets datant du XIVe au XIXe siècle, avec une large prédominance de l’époque d’Edo (1603-1867). Tous sont issus des collections françaises, qu’elles soient privées ou publiques.
A l’hôtel d’Heidelbach, les visiteurs font connaissance avec les daimyô 大名, ces grands seigneurs qui apparurent sur le devant de la scène à la fin de l’époque de Heian (794-1185) et dominèrent politiquement le Japon jusqu’au XIXe siècle. Une carte et une chronologie expliquent rapidement le déroulé historique de leur domination avant de rentrer dans le vif du sujet : les objets qui les accompagnaient et les personnifiaient sur le champ de bataille. Dans de vastes baies vitrées, se succèdent ces objets aperçus dans les rouleaux peints ou les films de Kurosawa, et qui tourne autour des armures : casques, arcs, sabres, carquois, éventails, vêtements, etc.
Les casques (kabuto 冑) sont particulièrement étonnants : ornés de palourdes ou de pinces de crabes, décorés d’une libellule plus vraie que nature ou de créatures mythologiques. Mais ils ne sont pas les seuls : ainsi cette mentonnière (hooate 頰当) en forme de chien viverrin (tanuki 狸). Tout est prétexte à une fantaisie qui permettait en premier lieu d’identifier son porteur.
La deuxième partie met en valeur onze armures particulièrement dignes d’attention de part leur valeur artistique et leur état de conservation. La scénographie est superbe : disposées en demi-cercle dans la rotonde, les armures retrouvent leur faste d’antan, quand elles se tenaient dans la large alcôve décorative (tokonoma 床の間) de la résidence du seigneur. Du haut de leur piédestal, elles semblent contempler les visiteurs.
Là encore, les armures sont ornées de détails caractéristiques : blason du clan (kamon 家紋), casques arborant le chrysanthème impérial, décorés de bois de cerf ou encore d’oreilles de lapin ! Le tout dans une débauche de couleurs et de matières : cuir, textile, laque, métal.
La troisième partie pourrait sembler anecdotique, mais il n’en est rien. Elle a le mérite de nous propulser au XXIe siècle en nous transportant au Palais de Tokyo, haut lieu de la création artistique contemporaine. C’est l’artiste britannique, George Henry Longly, qui a travaillé sur l’installation baptisée « Le Corps analogue » en mettant en scène les huit dernières armures, des bannières, ainsi que des fourreaux de lances. Dans une immense salle, les objets semblent flotter au-dessus du sol tandis qu’est projetée une vidéo de robots explorant les fonds marins. Quant aux visiteurs, ils évoluent dans une salle tapissée de poteaux assimilables à des périscopes se dressant hors de l’eau. En somme, il s’agit de confronter et de faire dialoguer des objets de haute technologie, séparés par un écart de quelques siècles.
Le contexte historique
Les panneaux explicatifs qui accompagnent l’exposition s’attardent avant tout, et c’est bien naturel, sur les objets présentés : les matières (textiles et métal), ainsi que les éléments de l’armure les plus étonnants, comme les protections du visage et les casques. Le texte est condensé et efficace pour mieux revenir aux objets.
C’est dans la rotonde que le terme même de daimyô est davantage explicité. Des seigneurs implantés localement et qui cherchent à devenir indépendants avant que l’un d’entre eux, Tokugawa Ieyasu, finisse par les dominer tous en à la bataille de Sekigahara, en 1600. Si les trois Grands Unificateurs du Japon ne sont pas le sujet de l’exposition, il est fait mention, – oh joie ! -, du sankin kôtai 参勤交代, ce système dit du service alterné, instauré officiellement en 1635 et qui est, d’une certaine façon, à l’origine de cette débauche de luxe. La plupart des objets exposés sont d’ailleurs postérieurs à 1635.
Le sankin kôtai est essentiel pour qui veut comprendre l’époque d’Edo : les daimyô avaient obligation de venir résider dans la capitale shogunale, Edo 江戸 (ancien nom de Tokyo), avant de repartir dans leur fief en province. Et cela se répétait à intervalle régulier, généralement une année sur deux. Ils participèrent ainsi au développement du réseau routier, notamment les cinq grandes routes (gokaidô 五街道), mais aussi à celui d’Edo, considérée au XVIIIe siècle comme la ville la plus peuplée au monde. En effet, comme ils devaient y laisser leur première épouse et leur héritier comme otages, ils y multiplièrent les résidences (buke yashiki 武家屋敷), occupant ainsi des quartiers entiers de la ville. De même, les grandes routes, la plus célèbre étant celle du Tôkaidô 東海道 qui reliait Edo à Kyôto, voyaient défiler ces cortèges seigneuriaux et leurs centaines de serviteurs. Tout cela est une course au paraître pour des seigneurs qui n’ont plus le droit de se faire la guerre, tandis que le shôgun Tokugawa et ses conseillers regardent d’un air narquois cet étalage de luxe qui les ruine petit à petit. Un système qui ressemble par bien des aspects à celui instauré à Versailles par Louis XIV, à quelques dizaines d’années près.
L’exposition est une réussite mais il y a deux points qui auraient peut-être mérité davantage d’explications. Le premier concerne l’armure même qui ne bénéficie pas d’un panneau retraçant son évolution pour aboutir au modèle exposé, le dômaru 胴丸. Par ailleurs, un schéma aurait peut-être été intéressant pour comprendre sa structure interne et la manière de la revêtir.
Le deuxième point porte sur les daimyô. Qui sont-ils, ces clans Katô 加藤氏, Matsudaira 松平氏, Abe 阿部氏, Doi 土井氏, Maeda 前田氏 ? Occupent-ils tous le même rang auprès du shôgun ? En temps de paix, quel était leur rôle exact ? Questions d’histoire, davantage que d’art, mais qui auraient enrichi la visite car ces guerriers sont avant tout des hommes politiques. L’espace manque, bien évidemment, pour donner des informations supplémentaires. Mais sachant que la plupart des visiteurs sont équipés de smartphones, pourquoi ne pas doter l’exposition d’une application qui donnerait davantage de renseignements sur les seigneurs dont les armures sont présentées ?
Quoiqu’il en soit, courez vite à cette exposition qui vaut largement le coup d’oeil !